HS Schubert_suite

2013 Le Havre – Puerto Limon sur le cargo HS Schubert

SUITE

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Visite de Kingston
Madeleine et moi partons visiter Kingston après avoir reçu le feu vert de l’immigration. L’agent nous propose une de leur kingston_minivoiture pour 50 $. Nous profitons du voyage pour emmener trois Philippins chez le médecin. Il est de coutume de visiter des cliniques privées car celles publiques prennent trop de temps et le bateau ne peut pas attendre.
Nous entamons la visite de la ville avec un chauffeur qui nous parle dans un anglais qui sens bon la Jamaïque mais que je comprends très mal. J’essaye de capter un mot par-ci par-là et de reconstituer une phrase autour.
Nous commençons par le monument de l’émancipation des noirs et son parc adjacent, puis continuons par la statue du grand Bob. Nous passons sous Beverly Hills qui est la colline où habitent les riches, dont Usain Bolt !
La visite se poursuit dans la vieille ville historique avec ses maisons coloniales, pittoresque mais dite « dangereuse ». Le chauffeur ferme les fenêtres en disant que nous sommes dans le coin du bon, de la brute et du truand, ce que je mets quelques secondes à comprendre. Il n’y a aucun blanc en vue. Ensuite, nous tournons autour de Parade Square, uptown et finissons dans la boîte de Usain Bolt située dans un quartier fermé où se trouvent plein de restaurants où cohabitent noirs, blancs et asiatiques aisés. Nous choisissons un restaurant Italien.
Je constate en passant que les pantalons rouges sont très en vogue et pas seulement chez les adeptes du reggae allucinés !
Nous récupérons nos Philippins et rentrons au bateau après une visite mémorable.

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Jour 12
Les activités commerciales ont duré toute la nuit et ont pris du retard. Le départ est repoussé de 0700 à 1100 et nous appareillons à 1600. Deux remorqueurs retournent le navire dans le bassin. Après avoir quitté les deux dernières bouées rouges et vertes, espacées de moins de cent mètres, le pilote nous abandonne et nous naviguons à l’est sur quelques miles avant de foncer plein sud en direction de Cartagène.
L’équipage semble crevé après ces 24 heures de folie et aucun marin n’a eu la possibilité d’aller en ville. Ce sont les risques du métier.
Kingston est un port de transit entre l’Australie, les USA et l’Europe. Des conteneurs sont déchargés puis rechargés sur un autre navire pour continuer leur route, ce qui explique l’intense trafic bien supérieur aux activités économiques de l’île.

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Jour 13
Après la grande traversée de 11 jours, je vais apprécier que le voyage prenne un autre visage car les étapes avec visites à terre vont se succéder rapidement.
J’envoie un e-mail à Anouk pour établir le contact avec Aline Duc de Sion, peut-être une cousine de Gregory !
Un joli beaufort 7 sous le soleil nous offre un spectacle extraordinaire et me baigne d’émotions positives. Ce n’est pas le jour pour aller sur le château avant car les coursives sont inondées par les embruns et le bateau bouge beaucoup.
Rendez-vous est pris avec le pilote de Cartagène, il va monter à 2000 à bâbord et demande 1 mètre de hauteur.
Dans chaque port le pilote indique par radio le point de rencontre exact, le bord sur lequel il va monter (le mieux protégé des vagues et du vent) et quelle doit être la hauteur de l’échelle au-dessus de l’eau.
Nous sommes à quai à 2215 et les grues se mettent en marche aussitôt.

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Jour 14
cartagene_mini Les opérations de manutention durent toute la nuit et je mets des bouchons dans les oreilles pour ne pas être trop dérangé.

Une barge noire d’hydrocarbures est amarrée à côté de nous pour faire le plein, ceci dès 0430. Nous chargeons 750 tonnes de fuel qui suffiront jusqu’en Europe. Le fuel a la viscosité de la mélasse de genièvre et la couleur d’une huile de vidange qui a largement dépassé la date de remplacement. Un échantillon de chaque livraison est prélevé et envoyé par DHL dans le New-Jersey USA pour analyse. Cette procédure est pratiquée par la plupart des navires dans le monde et ressemble étrangement à un monopole. Le destinataire est: www.oiltest.com

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Visite de Cartagène
Après le petit déjeuner je propose de visiter Cartagène. Cette suggestion faite « à l’arrache » stresse un peu Madeleine car elle n’est pas prête et nous devons être de retour à 1100, mais sa curiosité est plus forte que tout et elle accepte finalement de m’accompagner. Il faut dire qu’elle a déjà vu la ville cartagena_town_minitrois fois. Il est 0820, par chance nos papiers d’immigration ont été préparés à l’avance, la navette qui tourne dans le port nous prend en charge, nous passons la douane et nous trouvons un taxi, le tout en 15 minutes, record mondial !
Le chauffeur nous conduit tout d’abord dans la vieille ville historique qui respire le romantisme, faite de monuments solennels, d’anciens cloîtres, d’églises et de maisons avec des balcons pittoresques

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…puis dans la nouvelle ville dont il est très fier, et enfin au château de San Felipe de Barajas construit en in 1656 par le gouverneur de Cartagène, Don Francisco de Murga.

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Nous sommes de retour au bateau à 1045 après une visite éclair où j’ai pu découvrir l’extraordinaire cité historique et m’imprégner de l’atmosphère chaude de la ville.
Nous quittons le port à 1330 pour Santo Tomas de Castilla au Guatemala. Nous en avons pour deux jours et 958 miles.

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Jour 15
On est parti pour une journée calme avec un vent faible qui nous pousse au 3/4 arrière.
C’est un temps idéal pour faire 35 minutes de vélo au fitness sans risquer de basculer à cause du roulis.
Andrei me prête sa tondeuse et je me coupe les cheveux. Tous les Européens se mettent la boule à zéro à l’approche des Caraïbes.
Une dizaine de dauphins d’humeur joueuse se précipite sur notre étrave puis passe dans notre sillage à l’arrière.
Deux goélands chassent en planant dans les courants d’air créés autour du bateau.

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Formalités de débarquement
Débarquer dans un port n’est pas aussi simple que de débarquer de son voilier à Bevaix.
Tout d’abord, un officier prépare une liste des personnes susceptibles de se rendre à terre (passagers et marins) avec une déclaration de marchandise établie par chacun. Ensuite le service d’immigration valide cette liste et délivre une « authorisation de débarquement » (shore pass) personnelle. Il suffit maintenant d’avoir sur soi une copie du passeport et l’authorisation de débarquement, de se présenter au portail du port, de signer une feuille et le tour est joué. Il faut évidemment re-signer la même feuille en rentrant.
L’agent fixe une heure limite au delà de laquelle les débarquements ne sont plus possibles et tout le monde doit être à disposition à bord. Cette limite est inscrite sur un tableau situé dans le bureau du cargo (cargo office), situé près de la sortie sur le pont arrière.
On me dit que Kingston a la procédure d’immigration la plus stricte des Caraïbes. Des fonctionnaires de l’immigration, plutôt des femmes, se relaient et sont assises 24 heures sur 24 sur notre pont et contrôlent les entrées et le sorties.
Le gilet de sécurité jaune, et les chaussures de sécurité sont obligatoires même pour traverser les docks. Une fonctionnaire regarde mes MBT ouverts avec un oeil critique mais j’arrive à la distraire assez pour qu’elle me laisse passer, je n’ai évidemment pas de chaussures de sécurité dans mes bagages !

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Jour 16
Ce matin la mer est calme avec un vent de beaufort 2. La journée s’annonce chaude et radieuse. Nous devrions atteindre Santo Tomas de Castilla au Guatemala en fin d’après-midi. Le vent a tourné dans la nuit, ce qui nous a ramené nos propres fumées sur nous, pas très agréable.
Les îles se succèdent par un temps de rêve sur une eau turquoise. Ce n’est pas aussi idyllique dans la tempête au milieu de l’Atlantique.
Comme la veille, une demi-douzaine de dauphins vient jouer dans notre sillage. Ils sont bien visibles car la mer ressemble à un miroir.
Nous devons ralentir car le rendez-vous avec le pilote est annoncé à 2300 soit dans 11 heures.
Il est 2200 et les instructions du port ne sont pas encore très claires et l’option de jeter l’ancre devant le port pour la nuit émerge.

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Jour 17
Comme envisagé le soir avant, nous avons jeté l’ancre devant le port et nous ne sommes pas les seuls. Quatre autres navires autour de nous ont fait pareil, les places dans le port sont convoitées.
La surprise du jour est que la température a chuté à 20°C et je ressort les sous-pulls et les pantalons longs.
Cette baie de St Tomas ressemble plus à une décharge de plastique qu’à une crique idyllique.

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Visite de Santo Tomas de Castillatomas_mini
Je pars visiter Santo Tomas avec Andrei et Bogdan. Nous sommes en ville après 10 minutes de marche seulement. La rue principale est animée et assez pittoresque. Le revêtement est défoncé mais tout le monde s’y fait.

Il y a quelques bâtiments de style colonial de trois étages et des petits bars où des femmes grillent des trucs dans des bidons en fer retournés. Au bout de la rue, Andrei achète huit délicieuses mangues pour 20 quetzals (3 $) dans un petit marché couvert par des bâches en plastique.

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Visite de Puerto Barrios
Ce même soir nous prenons un taxi pour Puerto Barrios à 8 km. Le prix de la course devrait être de 1.5 $, nous en offrons 5, le chauffeur en veux 5 par personne. Andrei lui dit que nous ne sommes pas des étrangers ignorants et il n’insiste pas.
Il nous demande si nous voulons des señorita. Nous disons non mais il nous amène tout de même dans le quartier chaud qui se trouve le long des piles de reefers de Dole, Chiquita et Del Monte, au milieu d’un traffic de camions infernal. Nous sommes en plein dans le pays de la banane dollar, non loin du port.
Nous prenons un pots, des crevettes et des bananes frites dans une paillote sur la mer, couverte d’un toit de feuilles.

Nous marchons ensuite en direction de ce que nous croyons être le centre de la ville puis nous rentrons en taxi à Santo Tomas. Sur le port, un cycliste nous escorte, sensé protéger les piétons qui doivent marcher entre les piles de boîtes dans la nuit, au milieu d’un bal incessant de camions. Puerto Barrios ne laissera pas un souvenir indélébile.
A côté de nous, un navire de gros tonnage Turque le Nahide M, charge de la terre qui doit être riche en quelque chose, mais personne de l’équipage ne barrios_minipeut me dire en quoi.
Le chargement du Schubert se poursuit avec des grues à un seul point d’attache, donc les conteneurs ont tendance à tourner horizontalement ce qui rend les opérations plus compliquées qu’avec des portiques où ils sont tenus par les deux bouts, donc ne tournent pas.
La limite de débarquement est fixée à demain à 0600.

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Jour 18
Il est 0700, les remorqueurs sont parés à la manoeuvre, le pilote est monté à bord et nos gars sont sur les ponts en combinaisons blanches avec des casques rouges, ce qui donne un air très professionnel. L’appareillage peut commencer.
Trois heures nous séparent de Puerto Cortes à 60 milles de distance seulement, que nous devrions atteindre vers midi.

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Visite de Puerto Cortes
La rue principale est à 500 mètres du bateau. La ville à l’air agréable à vivre pour ceux qui ne sont pas trop pauvres. Nous dénichons le marché couvert très pittoresque avec des étalages de poulets à moitié morts, des chiots et autres animaux de compagnie à moitié vivants et des feuilles de bananiers pliées.
Juste en face se trouve le tripot de la ville dans un bâtiment délabré avec ses joueurs de cartes et douze tables de billard.
Nous cherchons, Madeleine et moi, à boire un Cuba libre, impossible à trouver ici. Nous prenons donc un taxi pour nous rendre à l’hôtel Villa del Sol à 15 minutes de route, restaurant recommandé par l’agent, où nous atteignons notre objectif.
Nous sommes sur une plage prisée par les autochtones mais qui aurait besoin d’un sérieux nettoyage.
Un médecin en blouse verte buvant un verre et fumant une clope (c’est interdit à l’intérieur) nous parle des inégalités au Guatemala et nous dit que beaucoup trop de gens meurent de pauvreté.
Avant de me coucher je souhaite encore un bon anniversaire à Guillaume à trois heures du changement de jour. Ouf ! j’ai eu chaud.

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Jour 19
Le temps est gris ce matin et la température est agréable. Les activités commerciales continuent et la limite de débarquement est fixée à 1000, puis reculée à 1200, puis encore à 1800. Ce contre-temps nous permet de faire une deuxième visite en ville, bien qu’elle soit un peu morte en ce dimanche. Je flâne avec Cat le 1er officier Roumain
Nous appareillons à 2030 dans la nuit. Le spectacle est majestueux, à nous faufiler lentement dans la nuit très près de la plage, entre les autres navires à l’ancre qui convoitent notre place enfin libérée.
C’est parti pour 48 heures en direction Puerto Moin au Costa Rica, mon port de destination. Moin est l’extension du port de Limon à quelques encablures au nord de ce dernier
J’envoie un SMS à Aline lui disant que nous estimons arriver vers minuit le 22 février. Elle me répond dans l’heure et nous prenons rendez-vous pour boire un verre ensemble.
Ce sera le silence radio pendant deux jours.

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Jour 20
Un magnifique lever de soleil est annonciateur d’une belle journée, bien qu’en mer les choses peuvent changer très vite
J’ai demandé au capitaine et à l’ingénieur en chef si je pouvais visiter la salle des machines demain matin, authorisation accordée sans enthousiasme !
Il est prévu de changer un des sept piston de 70 cm de diamètre, excusez du peu ! qui est arrivé en fin de vie. Le capitaine doit demander l’autorisation aux autorités portuaires car le bateau sera totalement immobilisé pendant les 20 heures que doit durer l’intervention, donc ne pourra pas être déplacé. J’ai cru comprendre que, soit l’autorisation n’a pas été accordée, ou alors le capitaine a changé d’avis, je ne suis pas très sûr.

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Jour 21
Mon dernier jour de navigation est arrivé. Le navire s’est mis à rouler fortement lorsque nous avons tourné au sud à la pointe nord-est du Honduras.
Nous ralentissons à 15 noeuds pour ne pas arriver trop tôt, il reste 165 milles nautiques. Nous n’arriverons donc pas avant 2100 devant Moin.
Deuxième ralentissement à 12 noeuds, arrivée reportée à 2200. Finalement le pilote monte à bord à 0100. La manoeuvre commence par un retournement du navire car nous devons entrer dans le port en marche arrière. Je comprendrai pourquoi demain matin.

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La salle des machines
Je descends à 0800 dans la salle des machines. Le chef mécanicien à l’air content de me recevoir. Un mécanicien Philippin me file des protections auriculaires.
Quatre étages au dessous du pont c’est le fond du bateau et l’endroit est pour le moins inhospitalier. A choix, il fait 22°C dans la salle de commande, 40°C moteur_minivers le moteur principal et 60°C vers les générateurs, et le tout est encore plus chaud lorsque le bateau navigue en extrême Orient.
Faisant semblant de comprendre, je ne capte rien de ce que me dit le chef mécanicien à cause du bruit infernal.

Je retiens tout de même que:
1- la barre, élément vital s’il en est, est actionnée par deux pompes hydrauliques qui sont commutées tous les jours pour assurer une redondance parfaite
2- que le bateau consomme 60 tonnes de fuel en 24 heures à une vitesse maximum de 18 noeuds
3- qu’une tonne de fuel coûte entre 600 et 700 USD
4- que nous produisons notre propre eau douce technique par évaporation (eau sanitaire mais non-potable)
5- que le pot d’échappement du moteur principal mesure plusieurs mètres de diamètre (partie brune sur le dessin ci-dessus).

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Jour 22: 23 janvier 2013
Nous sommes amarrés à 0300. Moin est le port le plus pictural que nous ayons rencontré. Il n’y a pas de grue sur le quai, nous devrons utiliser nos propres engins. Je comprends pourquoi nous sommes rentrés en marche arrière car le plan d’eau est très étroit et il est coincé entre une île et un seul quai. Il n’y a de la place que pour trois bateaux de la dimension du HS Schubert.
La manipulation des conteneurs est très acrobatique. Deux hommes s’agitent sur chaque boîte qu’ils doivent diriger pour les mettre en position, décrocher les verrous manuellement puis en descendre en se pendant aux sangles qui sont accrochées aux cadres sous la grue. Ils sont très agiles mais la moindre erreur peut coûter très cher.
Aline qui parle peu l’anglais est coincée dans les bureaux de l’agent en ville de Limon. Elle est allée au rendez-vous au port de Limon alors qu’elle aurait du aller au port de Moin, ce qui a embrouillé la situation. Je me rends en ville avec l’agent Carlos pour fonctionner comme interprète. J’en profite pour foncer acheter mon billet de bus pour San Jose du le lendemain. Enfin à 1500 j’ai mon visa d’entrée au Costa Rica et Aline son autorisation de sortie. Nous retournons au bateau pour déposer Aline et prendre mes bagages.
Limon à l’air d’une ville agréable à vivre. Il y a des patrouilles de police partout ce qui semble faire régner un certain ordre public.
Je cherche un hôtel en ville mais tous sont pleins et, avec l’aide de Carlos, je trouve une chambre à l’hôtel Maribu Caribe sur la plage un peu au nord de la ville. Je suis un peu déçu d’être dans un hôtel plein de gringos avec l’air conditionné à fond dans tous les bungalows. J’espérais quelque chose de plus authentique dans une ville typique des Caraibes.
J’invite mon agent et son acolyte à boire un verre et ils me conduisent sur les hauteurs d’où l’on surplombe toute la ville. Il me dépose ensuite à mon hôtel.

FIN