HS Schubert

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Journal de voyage

2013 Le Havre – Puerto Limon sur le cargo HS Schubert

Toutes les photos du voyage sont ici vogue_mini

 

…et les dessins faits pendant le voyage[supsystic-gallery id=’2′]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Août 2012

Le voyage commence plusieurs mois avant d’embarquer. Il faut tout d’abord dénicher une agence dans la foison d’offres sur internet. Andrea un ami qui m’a recommandé l’agence Frachtschiffreisen Pfeiffer GmbH en Allemagne .

L’étape suivante est de trouver une route qui convient. La destination de Puerto Limon au Costa Rica n’est pas très courante car ce port est très petit. Une fois un bateau trouvé, il faut réunir la paperasse relativement abondante:

·        signer un contrat de transport

·        obtenir un certificat médical daté de moins de 60 jours du départ

·        signer une acceptation de changement de parcours et de calendrier

·        signer une lettre de renoncement à revendiquer des dommages et intérêts en cas de pépin

·        vérifier la validité du passeport et du certificat de vaccination

·        contracter une assurance déviation

Le plus important après la signature du contrat, est bien sûr le paiement du billet, environ une centaine d’euro par jour. Il faut ajouter une assurance de déviation de 160.- euro, qui couvrirait les frais de déroutage du bateau au cas ou je tombe gravement malade ou pire encore. Je suis avertis, il n’y aura pas de médecin à bord car sur les cargos, c’est un Officier qui remplis cette fonction

La prochaine étape est de s’intéresser au bateau. Son nom m’a été communiqué par l’agence: le HS Schubert avec le numéro IMO 9337597 (International Maritine Organisation) .

Je le suis en temps réel sur le site http://www.marinetraffic.com En principe, le cargo effectue une rotation qui dure environ un mois et demi en déservant une dizaine de ports d’Europe du nord et des Caraïbes.

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Septembre 2012
Je signe le contrat de réservation de l’agence Pfeiffer. L’embarquement est prévu autour du 13 janvier 2013 au Havre.
Le bateau.

La question m’est souvent posée à savoir quelle est la nationalité du bateau ?
alors, il a été construit en Chine par Wenchong Shipyards in Guangzhou, le propriétaire est allemand, l’exploitant est français, le pavillon est libérien et le capitaine est polonais – facile non !

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Octobre 2012
Je traque le bateau sur internet pour pour comprendre qu’il fait de brêves escales entre 12 et 36 heures dans les ports des Caraïbes, dont Kingston (Jamaïque), Cartagène (Colombie), Santo Tomas de Castilla (Guatemala), Puerto Cortes (Honduras), Puerto Moin (Costa Rica), puis une dernière escale à Kingston avant de traverser l’océan atlantique en direction de l’Europe.

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Novembre 2012

La traque continue dans les ports de Rotterdam, Brunsbuettel (DE), Muuga (Estonie), Kronstadt (St Petersbourg), puis retour par Stadersand (DE), Brunsbuettel (DE), Rotterdam, Anvers, puis Le Havre avant de rejoindre les Caraïbes.
Décembre 2012
Une petite surprise m’attend, le départ du Havre est avancé d’une dizaine de jours probablement autour du 1er janvier 2013 et je vais donc passer nouvel-an au Havre. La préparation des bagages devra être passablement avancée, ce qui montre que pour voyager en cargo il faut être souple.

Je constate sur le site www.marinetraffic.com que le bateau quitte la Jamaïque le 15 décembre pour traverser l’Atlantique et sera en Europe dans 10 jours, autour de Noël.

Je reçois les dernières instructions de Pfeiffer et je comprends maintenant comment fonctionne le système pour embarquer. Il se fera sous la conduite de la société CMA-CGM qui est l’exploitant du HS Schubert. Société auprès de laquelle je devrai m’annoncer pour lui indiquer dans quel hôtel je serai, un jour ou deux avant le départ prévu. L’embarquement est maintenant fixé au 2 janvier. J’achète donc un billet de TGV pour un départ de Neuchâtel le 31 décembre à 8h10. Je réserve une chambre à l’hôtel « Les Gens de Mer » qui était, au début du 20ème siècle, un foyer pour les gens de la mer précisément.
Une inconnue subsiste; serai-je le seul passager payant à bord ?
La documentation du bateau indique qu’il y aurait une cabine-propriétaire double avec douche, WC, canapé, frigo, TV, DVD, Video, HiFi, situé sur le pont F.
Je contacte la CMA-CGM par e-mail qui me répond que le bateau arrivera au Havre le 1er janvier et que les activités commerciales (déchargement et chargement) auront lieu le 2 janvier. Je dois les re-contacter lundi 1er pour avoir plus de précision sur l’horaire d’embarquement. Me voilà donc rassuré puisque le contact est établi et que j’ai fait mes réservations aux bonnes dates.

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Préparation des bagages
Je dispose d’un contingent d’un demi-mètre cube de bagages donc pas de souci de poids, contrairement aux limitations logiquement imposées par les compagnies d’aviation. Je pourrai prendre des livres sans compter et même des livres d’enfants pour Romane et Clémence.
Il s’agit de ne pas oublier l’important car il n’y a ni médecin, ni Migros à bord !
Les instructions de voyage de l’agence indiquent que les DVD sont très appréciés par les marins sur les bateaux. Je sollicite donc quelques amis pour collecter des DVD inutilisés. La récolte est fructueuse et j’élimine d’entrée les films qui ne sont qu’en français, car inutiles sur un bateau internationnal. J’embarque finalement une vingtaine de films dans mes bagages.
Daniel, collègue de PM, me file deux cartouches de Marlboro qui seront certainement très appréciées.
Je dois imaginer que je pars du Havre en plein hiver et que j’atteindrai la Jamaïque dix jours plus tard en plein été, donc les habits devront être adaptés à une différence de température d’au moins 25 degrés.

L’heure du départ a sonné. Le 31 décembre Corinne me conduit au TGV de 0810 à Neuchâtel.
A la gare St Lazare de Paris je rappelle la CMA-CGM qui me dit que je pourrai embarquer le mercredi 2 janvier à 10h00 au Terminal de France (TDF).
Arrivé au Havre, un taxi me conduit à l’hôtel Les Gens de Mer mais derrière la fenêtre un gars me fait un signe négatif de la tête… Il m’explique ensuite que l’hôtel est fermé pour cause d’incendie dans la cuisine. Il me conduit donc avec sa voiture au Richelieu, à deux rues de là. En partant, je vois en effet une friteuse calcinée derrière la maison.
En cette soirée spéciale de Nouvel-An, un des seuls restaurants qui est ouvert et qui offre autre chose qu’un repas de Sylvestre à 120 Euros est Indien. J’y vais et choisi un excellent repas très parfumé comme savent le faire les indiens. Il m’en coûte 30 Euros, comprenant un vin rouge indien que je regrette d’avoir commandé.
Il fait moche et froid, je suis donc casé dans ma chambre à 2200.

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Janvier 2013
Cette journée du 1er janvier s’annonce belle, le ciel est bleu mais la ville est morte. Le cri des goélands a remplacé celui vaubandes fêtards. Je découvre la ville en montant dans le tout nouveau tram ultra moderne inauguré juste avant noël. Je visite les docks Vauban transformés en centre commercial où aujourd’hui, seuls un restaurant et un cinéma multi-salles sont ouverts.

Embarque Simone !

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Jour 1: 2 janvier 2013
Je commande un taxi à 9h00 à l’hôtel mais il n’arrive qu’à 10h00, je vais donc arriver en retard au bateau. Après 20 minutes de route le long des interminables docks, nous arrivons au portail de contrôle du Terminal de France (TDF) où le conducteur et moi-même devons montrer patte blanche.
Le TDF est le dernier terminal construit, spécialement pour les bateaux de gros tonnage comme le HS Schubert.

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Conseil aux amateurs
N’utilise que les taxis préconisés par l’agence ou l’opérateur car seuls ceux qui sont accrédités peuvent entrer dans les zones portuaires, sous haute surveillance

L’émotion est assez vive lorsque j’aperçois le HS Schubert au loin qui ressemble à un jouet sous des portiques de chargement géants.
Un matelot m’attend sur le pont arrière, contrôle mon identité, puis un officier me conduit dans mon appartement au pont F.
Je croise la passagère Madeleine, embarquée à Hambourg, qui fait toute la rotation et qui devrait débarquer également à Hambourg autour du 6 février.
Un vent modéré de beaufort 4 est annoncé cette nuit ce qui est une bonne nouvelle car je ne connaît pas mon degré de résistance au mal de mer sur un navire qui bouge 24 heures sur 24. Ce sera donc un premier test grandeur nature pour moi.
Nous appareillons à 1400 avec devant nous 4363 miles nautiques à parcourir pour atteindre le port de Kingston en le_havre_miniJamaïque, en 10 à 12 jours.

Nous laissons le phare de la Hague à bâbord quelques heures plus tard. C’est le premier cap croisé depuis le Havre.

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Jour 2
La nuit a été peu agitée et le temps est sec ce matin, le ciel est gris avec une forte houle. Je n’ai pas très bien dormi car il faisait 25°C dans ma cabine. La bonne nouvelle est que je n’ai absolument pas été incommodé par les mouvements du navire, donc pas de mal de mer.
Nous avons quitté la France en laissant l’île d’Ouessant à bâbord dans la nuit, avant de foncer au cap 232° sur l’archipel des Açores que nous atteindrons dans 3 à 4 jours.
Après le petit-déjeuner à 0730, j’entreprends une première exploration du château. Je découvre la petite salle de fitness où se trouvent un vélo, deux engins et une table de tennis de table.
Le 3ème officier me raconte que lors de leur dernière traversée de l’océan, ils ont essuyé une tempête qui a duré trois jours. L’inclinomètre sur la passerelle a enregistré 18° de roulis, valeur toujours visible sur l’appareil – ça devait être le calvaire…
La météo est annoncée plutôt modérée ces prochains jours.
J’ai passé une heure au fitness à découvrir le matériel. Ca m’a fait beaucoup de bien après tous ces jours d’inactivité physique. J’ai tout de même dû un peu bricoler les appareils et remettre de l’ordre dans les poids qui étaient un peu éparpillés.
Pour le souper, un excellent poisson à la sauce sweet & sour nous est préparé par notre cuisinier philippin, amicalement appelé Cooky.
Le capitaine me prête sa session de messagerie pour envoyer un premier compte-rendu à Corinne, Anouk, Guillaume et Gregory.
Je fini la soirée dans la salle de loisir de l’équipage à boire une bière en compagnie des Philippins qui regardent le DVD d’un concert de rock en philippin.

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Le navire en quelques mots et définitions
– le château est la superstructure d’un navire dépassant la coque
– la passerelle ou timonerie est le compartiment d’un navire d’où l’on effectue la navigation sous les ordres de l’officier de quart et d’où le commandant ou un adjoint désigné, dirige les manoeuvres
– le mess des officiers est la cantine ou la cafétéria des officiers. Il y a deux cafétéria, celle de bâbord destinée aux Philippins et celle de tribord destinée aux officiers / européens. Cette dernière à deux tables rondes, une pour les 1er officiers et chefs et l’autre pour les sous-officiers, les cadets et nous. Respectons la hiérarchie bon sang…
– les coursives sont les passages pratiqués entre des soutes, dans le sens de la longueur d’un bâtiment, non pontés
– le roulis correspond aux oscillations bâbord / tribord, selon l’axe longitudinal du navire, provoquées par les vagues qui frappent sur le côté. Un navire qui roule peut engendrer des problèmes d’équilibre: le bien connu mal de mer.
– le tanguage est le mouvement induit par les vagues qui arrivent de front et qui soulèvent l’avant du navire: l’arrière s’enfonce, et vice-versa. Les officiers jouent avec le cap, la vitesse et les ballasts pour modifier l’inertie du navire afin d’optimaliser sont comportement dans les vagues
– des répétitions sécurité ont lieu régulièrement pour l’équipage, aujourd’hui: perte du gouvernail !
– le navire pèse 9000 tonnes, peut charger environ 15000 tonnes de frêt, mesure 170 mètres de long et 30 mètres de large
– le bureau du cargo (cargo office) est situé près de la sortie sur le pont arrière. C’est de là que se gèrent les opérations de manutention des conteneurs et les pompes des ballasts. C’est également dans ce bureau que se trouve système automatique anti-gîte.

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Jour 3

Nouvelle nuit peu agitée, la température s’est effondrée à 18°C dans ma cabine, ce qui confirme que la régulation de la aussiere_minitempérature dans un navire n’est pas toujours facile.
Je descends au petit-déjeuner et constate que j’ai une heure d’avance car j’ai oublié de reculer ma montre, je suis donc arrivé au mess des officiers à 0630 au lieu de 0730. C’est de ma faute car les jours de changements d’heure sont pourtant clairement rappelés sur quelques portes du château. Nous devrons en effet reculer de sept heures jusqu’au Costa Rica, il faut bien que tout le monde à bord aie la même heure pour éviter le chaos.
A 1500 le vent forcit à 5-6 beaufort et on fonce avec une visibilité réduite dans un rideau de nuages gris, le bateau tangue de plus en plus.
René notre steward Philippin nous met des fruits dans nos frigos personnels, dont des oranges d’Afrique du sud, qui n’ont pas fini de voyager…
La passerelle reçoit l’ordre du Routeur de changer de cap de 230° à 240°, soit de passer au beau milieu de l’Archipel des Açores plutôt qu’au sud. Les raisons resteront obscures pour moi.
On m’explique que la société qui exploite le bateau la CGM-CMA, fait appel à une société de routage qui donne son avis sur les options choisies par la passerelle.
La vitesse a été réduite de 2-3 noeuds pour diminuer le tangage du navire qui se plante régulièrement dans la vague.

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La passerelle ou timonerie
La passerelle est l’endroit stratégique où tout se passe, c’est le cerveau du géant. Elle est située au niveau le plus haut soit au dernier étage du château.

On y trouve tout: la sacro-sainte table des cartes marines, les tableaux de bord, les écrans radar, les terminaux de schubert_minicommunication (fax, VHF, messagerie) et je m’arrêterai là…
Pour éviter les malentendus par exemple à la radio VHF ou entre les marins sur le bateau, les heures sont dites en nombre de 4 chiffres, e.g.: huit heure trente du matin se dit zéro huit trois zéro (0830).
Je m’y rends trois ou quatre fois par jour pour prendre les dernières nouvelles, notre position ou les prévisions du temps, que je vais ensuite transmettre à Madeleine. C’est de là que j’envoie mes quelques e-mails avec le compte de messagerie du capitaine.
Je passe beaucoup de temps à discuter, surtout avec le 1er officier qui est très volubile. Les autres sont un peu moins bavards mais semblent apprécier ma présence car lorsque je dis que je m’en vais, ils disent d’un air déçu « déjà » ou « pourquoi ». Il faut dire qu’un quart de quatre heures, dans l’obscurité totale, avec les écrans radar comme seul éclairage, c’est long et un peu ennuyeux.
Le toit du château, donc de la passerelle, s’appelle le Monkey Deck (pont des singes). C’est également un endroit vital qui comprend des antennes de toutes sortes, le radar, le compas magnétique qui est la référence pour tous les autres instruments, le pavillon des eaux territoriales et l’enregistreur de données du navire, « boîte noire » qui est orange, comme pour les avions. Le monkey deck n’est pas un endroit où il faut s’attarder car on risque d’en descendre dans le même état qu’un oeuf laissé 2 minutes dans un four à micro-ondes.

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Jour 4
La nuit a été agitée, le bateau tanguait fortement, ce qui n’est pas seulement malsain pour lui-même et sa cargaison mais aussi fort désagréable pour les dormeurs qui se retrouvent scotchés contre les parois.
Il faut savoir que les cabines et autres compartiments ont des boucles fixées au sol auxquelles les meubles et appareils sont accrochés au moyen de petits câbles, pour empêcher qu’ils ne se baladent dans toute la pièce. Evidemment, les engins du fitness sont également arrimés. De plus, il est fortement recommandé de ne pas poser sa bière sur une table sans y mettre au préalable une natte en caoutchouc. A bon entendeur…
Mon programme du jours est dédié aux incontournables visites de la passerelle, à ma lessive, au fitness, à la lecture, à regarder le film Wasabi avec Jean Reno, et à faire quelques parties de Rummikub avec Madeleine.
A 2200 nous seront au milieu de l’archipel des Açores avec peut-être du signal gsm pour nos mobiles.

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Quelques règles à bord
– les heures des repas sont fixées: petit-déjeuner 0730, dîner 1200 et souper 1730
– si tu laisses la porte de ta cabine ouverte, tu indiques que tu es disponible et si tu la fermes, tu ne veux pas être dérangé
– tu fermes les rideaux de ta cabine la nuit sinon tu te fais remonter les bretelles par l’officier de quart qui est juste au dessus et qui ne peut plus scruter la mer convenablement en raison de la lumière parasite
– tu portes des chaussures d’intérieur dans ta cabine pour ne pas la salir. Les ponts sont souvent pleins de sel et de suie
– il n’y a pas d’interdiction de fumer mais le bon sens est de ne pas le faire dans les lieux communs, par exemple où l’on mange.
– tu verrouilles la porte de ta cabine dans les ports car il y a beaucoup de monde de l’extérieur qui monte à bord pour y travailler
– l’idée d’emporter des médicaments généraux avec soi n’en est pas une bonne car l’infirmerie du bord est très bien équipée. Il est toutefois essentiel de ne pas oublier ses propres médics vitaux.

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Jour 5
Nous avons traversé l’archipel des Açores au milieu de la nuit sans recevoir de signal gsm comme espéré, ayant passé trop loin des côtes. Nous affrontons un vent de face de beaufort 5/6 sous un magnifique ciel bleu, et nous entamons la grande traversés de 2500 miles en visant entre Haïti et Cuba.

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Un camion des mers
Pour faire simple, notre porte-conteneurs est comme un camion qui loue ses services pour transporter des marchandises d’un point A à un point B. Son seul rôle est de s’assurer que la cargaison arrive en bon état, par exemple d’empêcher les pannes d’alimentation des reefers ou tout autre dérangement. Il ne connaît même pas le contenu des boîtes, sauf si elles contiennent des matières dangereuses, ou lorsque ça sent l’ananas tout autour.
L’exploitant, la CMA-CGM et ses agents dans les ports, s’occupent de tout le reste: de récolter les mandats de transport, du parcage du bateau dans les ports, du déchargement et du chargement, de la prise en charge des rares passagers, de fixer la limite de débarquement et même des commandes de fuel. C’est lui aussi qui engage les ouvriers qui opèrent nos propres grues si elles sont utilisées, ou qui arriment les conteneurs avec des barres de fer.

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Jour 6

La nuit la plus agitée depuis le départ se termine. Nous avons essuyé d’impressionnants coups de boutoir ou tout le monde souffre: le bateau, les boîtes et les gens.
Je profite d’un temps enfin calmé avec une grosse houle pour me rendre une première fois à l’avant du navire. Le latch_miniparcours est assez tortueux, il faut être prudent et bien se tenir.

L’expérience est magique de voir ce géant de 25’000 tonnes foncer à 38 km/h dans une eau devenu turquoise, sans vibrations, dans le silence total avec comme seul bruit le bouillonnement de l’eau à l’étrave. Il faut dire que les machines sont sous le vent, à 160 mètres à l’autre bout du navire.

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L’équipage
Il est composé de 21 hommes dont la moitié de Philippins. Les cadres sont Polonais, Roumains, Monténégrins et Croates. L’équipage est sympathique à notre égard, mais la plupart des marins trouve ridicule et mystérieux que des passagers payent pour voyager sur un cargo où il n’y a ni distraction, ni animation, que la subsistance est peu variée et que ça prend des semaines.pathway_mini
La vie à bord est assez dure pour les marins car le travail ne s’arrête jamais. La journée de travail est de 8 heures en mer et 12 heures au port. Les quarts de veille sur la passerelle en mer, et au port sont de 4 heures.
Lorsque le navire entre ou sort d’un port, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, tout le monde doit être « sur le pont » et un mouvement prend entre une et deux heures de temps.
En mer, les tâches du personnel non-naviguant sont diverses et variées, comme dérouiller inlassablement, peindre, laver les ponts, démêler les aussières (gros cordage servant à l’amarrage) ou nettoyer l’intérieur du château s’il fait moche.
Les marins peuvent avoir chacun une messagerie avec une adresse e-mail pour la « modique » somme de 25 USD. The bateau utilise un fournisseur d’accès appelé Telaurus SMT (Ship Management Tool).

Le menu du dimanche est un peu plus élaboré que les autres jours: T-bone steak, frites, gratin et glace pour le dessert.
J’apporte des DVDs dans la salle de loisirs du pont A aux Philippins et j’y bois une bière pour clore ma soirée.
Pour soigner l’image d’un passager, j’ai offert un carton de 36 Beck’s beer à l’équipage.

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Jour 7
Nous passons la nuit la plus calme depuis le départ. Une sortie sur le pont de poupe, juste après le petit-déjeuner, me suggère que le mode short sera bientôt de rigueur en raison de la température qui monte de jour en jour. Puisque le bateau ne bouge plus trop phil_minije vais enfin pouvoir me mettre au dessin, ce que j’ai prévu de faire dès le départ.
Nous avons parcouru 2441 miles et il en reste 1855 jusqu’à Kingston.
Le capitaine m’imprime une réponse de Corinne qu’il me glisse sous la porte de ma cabine. Les nouvelles de Bevaix sont bonnes mais Mortimer (le chat) s’ennuie un peu
Au coucher du soleil vers 1800 Cat, le 1er officier, à la chance de voir un « green flash », un effet optique rare où le disque du soleil soudainement et brièvement se change en un vert vif, soit au moment de disparaître au coucher, soit à son apparition au lever.
Comme presque chaque jour vers 1600 je monte sur la passerelle boire un thé vert et discuter avec le 1er officier, car je sais que c’est l’heure de son quart pour tout le mois de janvier. Nous discutons beaucoup de physique et de phénomènes paranormaux, c’est son dada. Nous faisons aussi des échanges de musique par bluetooth sur nos appareils respectifs, en cherchant à faire causer un Androïd avec un Mac ce qui, évidemment, s’avère être un échec partiel…

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Jour 8
Un vent de beaufort 5/6 nous a poussé toute la nuit ce qui a engendré un roulis important de 10° selon le clinomètre.safety_mini
Je me demande en rêvant sur le pont, tout en regardant l’immensité de l’océan, quel serait le temps de survie si je tombais à l’eau, 30 minutes, 60 minutes ? En l’absence de réponse, le mieux est de rester humble et de ne pas s’approcher inutilement des bastingages, surtout si on est seul et que ça secoue.

Ma réflexion tombe à pic car un audit sécurité est programmé à 1300. Nous devons déposer nos gilets de sauvetage et combinaisons de survie devant la porte de nos appartements.

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Jour 9

Je me réveille de plus en plus tôt puisque nous reculons nos montres d’une heure chaque soir à minuit depuis quelques jours, donc rallongeons nos nuits d’une heure à chaque coup.
Le temps s’est résolument calmé et nous entrons dans l’été. Les poissons volants, petits et gros, sont de plus en plus nombreux à s’envoler devant la proue du bateau pour fuir.
La cargaison
– est constituée principalement de conteneurs (aussi appelés boîtes)
– les reefers sont les conteneurs à température contrôlée qui sont de couleur blanche. Ils peuvent contenir de la viande à -25°C, des fruits à +10°C ou des appareils électroniques à +18°C
– le froid des reefers est maintenu grâce à une connection électrique avec le navire. Il est facile de reconnaître les vides des pleins car les vides ne sont pas connectéspoupe_mini
– les reefers sont généralement vides entre l’Europe et les Caraïbes et pleins de fruits exotiques dans l’autre sens.

J’envoie un troisième message à la famille et mes voeux de bon anniversaire à Bernard.

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Jour 10
Réveillé très tôt je vais admirer le lever de soleil sur le pont de poupe avant de petit-déjeuner.
Aujourd’hui j’élimine les chaussettes jusqu’au 23 février, jour du retour en Suisse.
Nous ne verrons ni Haïti à bâbord ni Cuba à tribord car trop loin des côtes. Cependant, nous approchons de l’Ile des Tortues que nous appercevons devant nous. Vers les années 1600, l’Ile des Tortues fut une base de pirates. Un groupe de pirates, appelés Brethren of the Coast (Frères de la Côte), en ont fait leur repère.
Sitôt l’île passée nous prenons un cap plus au sud ce qui fait instantanément rouler le navire, ce que remarque tout de suite Madeleine dans sa cabine.

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Emotions
La grande traversée se termine. J’ai pu remplir mes journées sans m’ennuyer une minute. On découvre un mode de fonctionnement différent de chez soi. Il n’y a aucune sollicitation extérieure, pas de tondeuse, pas de campagnoles à chasser, pas de nouvelles, pas de facteur et pas d’internet. Cette absence d’interaction avec l’extérieur fait que le temps s’écoule différemment. J’ai pu me centrer sur moi-même et ne faire que des choses pour moi dans un environnement restreint sans mauvaise conscience. Ce qui n’est pas habituel dans notre société calviniste hyperactive.

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Jour 11
Cette journée va être différente des précédentes car nous allons toucher Kingston Jamaïque.
Nous longeons la côte sud de Cuba.carte_mini

Anouk me raconte par e-mail l’étonnante histoire d’Aline, la mère de Corine, volontaire au Nicaragua, qui devrait embarquer sur le HS Schubert et reprendre ma cabine à Moin (puerto Limon) pour rentrer en Europe
Nous arrivons en vue de Kingston à 1100 et nous avons rendez-vous à 1300 avec le pilote qui prendra la direction des opérations de rentrée dans le port et instruira les deux remorqueurs qui exécuterons la partie pénible du boulot. L’échelle est déjà à poste à tribord, à 1 mètre de hauteur (comme demandé par le pilote). Nous passons entre des îles de palétuviers et des petits ports militaires. Des pélicans plongent et pêchent dans l’avant port.
L’amarrage est terminé à 1430 avec l’aide des lamaneurs sur le quai.

 

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